jeudi 5 mai 2011

L'obscène

Par Claire Frédéric du CESEP

Centre Socialiste d'Éducation Permanente
rue de Charleroi, 47
1400 Nivelles
tel : 067/21.94.68

Site : http://www.cesep.be/
Dossier disponible : ICI


DE L'IDÉE À LA DÉFINITION, QUE NOUS DISENT LES DICTIONNAIRES ?


Obscène : Qui blesse la délicatesse par des représentations ou des manifestations grossières de la sexualité.
Licencieux, pornographique, graveleux (Dictionnaire Le Petit Robert).
L'obscénité : L'obscénité est une notion de morale qui a varié considérablement au cours de l'histoire. L'obscénité blesse ouvertement la pudeur par des représentations d'ordre sexuel (Wikipédia).


LE CARACTÈRE OBSCÈNE EST SEULEMENT D'ORDRE SEXUEL ?


Obscène, dans le dictionnaire historique de la langue française est un adjectif qui signifie " de mauvaise augure, sinistre (d'oiseaux, de présages) passé dans le langage courant au sens de qui a un aspect affreux, que l'on doit cacher ou éviter d'où " sale, immonde " et " indécent ". L'étymologie du mot est inconnue (...). Le mot a été repris avec son sens moderne " qui révolte la pudeur, indécent " en parlant d'une chose, d'un spectacle et d'une personne ". Cette plongée dans l'histoire du mot ouvre le champ des définitions.
C'est alors, que parcourant un texte de Claude Gilbert1, le mot obscène prend radicalement une autre dimension ne laissant ni la formation ni le travail socioculturel indemnes.



QUE NOUS DIT CLAUDE GILBERT ?


" L'impression d'obscénité vient souvent d'une révélation brutale, crue et confondante par son absence de sens "(...). L'obscénité vient de l'échec momentané de l'apprentissage culturel, de la suspension de l'incessant travail d'intégration. Elle est l'effet produit par la soudaine présentation " d'objets qui laissent sans voix ".
De là, l'obligation pour les êtres participant à la sphère civile (les formateurs ? les travailleurs socioculturels ? ... ndr) de mettre en oeuvre les règles de l'échange et de la confrontation, de rétablir donc continuellement des " marchés " dans des domaines aussi différents que ceux de l'amour, de la politique, de la pensée,...
Ce travail incessant qui aboutit à l'indication de la valeur et du sens fait aussi oublier l'obscène sans le faire disparaître. "
" Si, dans son usage classique, l'obscène laisse sans voix, il est aussi incitation vigoureuse à la reprise d'une parole sociale qui, dans ses pleins et déliés, réalise finalement un certain traitement, une certaine identification de ce qui est dans un premier temps innommable ".


UNE QUESTION ÉTHIQUE POUR LES FORMATEURS ?


" C'est violent. D'entrée de jeu, vous nous demandez d'exposer une situation professionnelle et de mettre à jour nos pratiques. J'en ai assez de me dévoiler sans cesse ".
Reprenons cette situation qui sous des apparences anodines venait probablement mettre en lumière un quelque chose d'agaçant, de désagréable, d'insupportable pour la participante et d'embarrassant, d'encombrant, d'importun pour les formatrices que nous étions.
Que s'est-il passé ? Qu'avions-nous fait si ce n'est de vouloir la forcer à dévoiler son intimité professionnelle ?
Cette conclusion m'a amenée à faire un détour par la question du dévoilement de l'intimité dans le champ de la formation. Quels sont les aspects juridiques, déontologiques voire les questions éthiques que cela pose2. Cette analyse a permis de donner des premiers repères aux formateurs, qui, en l'absence de code de déontologie de la formation louvoient entre éthique et esthétique.

Prendre des situations concrètes vécues est une étape méthodologique de certains dispositifs de formation. Ces dispositifs sont construits sur l'hypothèse qu'une situation concrète insatisfaisante, analysée par la/le participant(e) et par le groupe en formation est source de construction, d'appropriation et de transfert d'un savoir sans mesurer parfois, et ici en l'occurrence, la brutalité de telles pratiques, " deuxième situation à risque pour le formé nous a dit Paul Dupoey3.

" Cette deuxième situation à risque pour le formé, " c'est lorsqu'il se trouve, effectivement, en face de formateurs qui veulent intervenir sur sa personne. On ne peut que s'interroger sur le droit naturel que s'attribuent les formateurs et toute une série d'autres acteurs à intervenir ou à faire intervenir sur la personne de façon plus ou moins radicale. Il y a là en tout état de cause, un problème de légitimité. Le moins grave, c'est quand il ne s'agit, par exemple, que des comportements à la vente. Le plus grave, c'est lorsqu'il s'agit de comportements relationnels beaucoup plus intimes, et bien sûr, de la relation à soi-même “.

" Confier ou se confier, c'est livrer, livrer à l'autre, inconnu au départ, une partie de soi, parfois une partie très intime de soi; c'est mettre une partie à la merci de l'autre, c'est peut-être aussi et déjà mettre l'autre dans une position de pouvoir. Celui à qui on s'est confié maintenant sait, que va-t-il en faire ? " nous a dit Jean-François Servais4.

A l'issue de cet article, j'avais provisoirement conclu par la nécessité pour le formateur de venir questionner son rapport au pouvoir et de l'hypothèse d'un désir d'emprise au coeur de toute relation pédagogique posée par Patricia Vallet5.

Nous avons eu envie de revenir à cette situation et plus largement à toutes ces pratiques professionnelles vécues comme violentes, intolérables, insupportables par ceux et celles qui les subissent.
A quoi touche-t-on ? Est-ce seulement une question de pouvoir et d'emprise ? Au-delà de l'indélicatesse, serait-ce inconvenant ? indécent ? Oserait-on parler là aussi de pratiques obscènes ?
Qu'est-ce qui est obscène et qu'est-ce qui ne l'est pas ?
Est-ce seulement une question de morale ou d'éthique ?


AILLEURS DANS LA SOCIÉTÉ ?


L'obscène, c'est ce qui relève du sexe. C'est le porno. C'est souvent la première image, la première représentation voire la première dé-finition que nous en avons.
Nous apprenons que ce n'est donc pas que le porno. Mais alors, où et comment cela se passe-t-il ailleurs dans la société ?
Dans les médias ? Dans les familles ? Sur les marchés financiers ? A partir de quand les pratiques sont-elles décentes/indécentes, avouables/inavouables, montrables/non-montrables ?
Un agonisant filmé en direct est montrable sous prétexte que " les faits vrais sont estimés plus vrais que tous les discours qui les recouvrent "?
Le cynisme de certaines pratiques publicitaires est indécent ? Les offusqués sont pourtant souvent rappelés à utiliser leur capacité de discernement, leur faculté de jugement, l'exercice de leur esprit critique et de souligner que l'humour, la dérision et même parfois le cynisme sont des outils d'interpellation percutants.

Avant même de parler d'éthique ou de morale, de ce qui se ferait ou non ailleurs dans la société Guillemo Kozlowski6 nous a invités à explorer la fabrication de l'obscène aujourd'hui comme première étape dans cette réflexion.

Claire Frédéric - CESEP

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